Charity, seule dans sa nouvelle chambre, s’ennuyait. Sa nouvelle chambre, car depuis ses treize ans, elle avait pour elle seule une chambre élégante et spacieuse. Elle était avant dans la chambre « petite larme », qui expliquait son état d’esprit. Elle l’avait partagée avec une autre petite fille du nom de Grace, une mauviette passant son temps à dire des niaiseries. Charity ne l’avait pas supporté longtemps. Depuis, Grace était dans un autre établissement. Maintenant, l’adolescente se morfondait, assise dans un fauteuil, les bras croisés sur son bureau. Elle se leva, se mira dans la glace, examina son gilet d’un œil critique, puis se dit que finalement, le vert bouteille ne lui allait pas au teint. Elle chercha dans sa penderie et choisit un autre gilet, rouge à rayures noires. C’était nettement plus élégant. Soudain, prise d’une affreuse sensation, elle retourna à son bureau et sortit rapidement une feuille de la pile ordonnée qui s’offrait à elle, puis se saisit d’un stylo plume qui somnolait dans sa trousse. Elle n’hésita pas un instant et gratta assidûment le papier de sa plume.
Mon cher Victor, écrivait-elle,
Le temps a passé depuis ta dernière lettre. Cela m’a fait beaucoup de bien de retourner à la maison pour les vacances. J’ai tenté d’être exemplaire. Je n’y suis sûrement pas arrivée, car je me retrouve à nouveau dans cette école, à faire cuire des macaronis. La directrice s’en est galimafrée, pourtant j’ai eu une note plus que médiocre. Te rappelles-tu quand tu me rendais visite à cette cave ? Nous avons passé des heures à écrire et à peindre à quatre mains. Parfois, je me demande pourquoi tu ne viens plus. Te souviens-tu, ce dimanche de janvier ? Tu avais dit que tu viendrais. Tu n’es pas venu. J’ai su que tu étais malade et j’ai eu sacrément les flubes. Est-ce tu serais de nouveau à plat ? Quand je suis partie, tu semblais aller bien.
Reviens (sa main resta une seconde en suspens),
Charity, ta petite sœur.
L’adolescente au nœud papillon relut ce qu’elle avait écrit, puis chiffonna sa lettre et la jeta avec un geste rageur dans la corbeille à papier à côté d’elle. Il fallait en finir avec cette morosité. Elle tenterait d’oublier Victor quelques minutes. Elle se leva, résolue à ouvrir son cercle d’amis, et sortit d’un pas décidé de sa chambre gigantesque.